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indices que ses yeux, pas d’autres preuves que ce léger mouvement de surprise qui lui échappa, lorsque, de retour de chez l’épicière, brusquement, dans la sellerie, je lui jetai pour la première fois au visage le nom de la petite Claire, assassinée et violée… Et cependant, ce soupçon purement intuitif a grandi, est devenu une possibilité, puis une certitude. Je me trompe, sans doute. Je tâche à me convaincre que Joseph est une « perle… » Je me répète que mon imagination s’exalte à de simples folies, qu’elle obéit aux influences de cette perversité romanesque, qui est en moi… Mais j’ai beau faire, cette impression subsiste en dépit de moi-même, ne me quitte pas un instant, prend la forme harcelante et grimaçante de l’idée fixe… Et j’ai une irrésistible envie de demander à Joseph :

— Voyons, Joseph, est-ce vous qui avez violé la petite Claire dans le bois ?… Est-ce vous, vieux cochon ?

Le crime a été commis un samedi… Je me souviens que Joseph, à peu près à la même date, est allé chercher de la terre de bruyère, dans le bois de Raillon… Il a été absent, toute la journée, et il n’est rentré au Prieuré avec son chargement que le soir, tard… De cela, je suis sûre… Et, — coïncidence extraordinaire, — je me souviens de certains gestes agités, de certains regards plus troubles, qu’il avait, ce soir-là, en rentrant… Je n’y avais pas pris garde, alors… Pourquoi