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pour lui transmettre un ordre de Madame… Je ne le vois nulle part, et je l’appelle.

— Joseph !… Joseph !… Où êtes-vous ?

Aucune réponse… J’appelle encore :

— Joseph !… Joseph !… Où êtes-vous ?

Tout à coup, sans bruit, Joseph surgit de derrière un arbre, de derrière une planche de légumes, devant moi. Il surgit, devant moi, dans le soleil, avec son masque sévère et fermé, ses cheveux aplatis sur le crâne, la chemise ouverte sur sa poitrine velue…. D’où vient-il ?… D’où sort-il ?… D’où est-il tombé ?…

— Ah ! Joseph, que vous m’avez fait peur…

Et sur les lèvres et dans les yeux de Joseph erre un sourire effrayant qui, véritablement, a des lueurs courtes, rapides de couteau. Je crois que cet homme est le diable…


Le viol de la petite Claire défraie toujours les conversations et surexcite les curiosités de la ville. On s’arrache les journaux de la région et de Paris qui le racontent. La Libre Parole dénonce nettement et en bloc les juifs, et elle affirme que c’est un « meurtre rituel… » Les magistrats sont venus sur les lieux… on a fait des enquêtes, des instructions ; on a interrogé beaucoup de gens… Personne ne sait rien… L’accusation de Rose, qui a circulé, n’a rencontré partout que de l’incrédulité ; tout le monde a haussé les épaules… Hier, les gendarmes ont arrêté un pauvre colpor-