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pour une femme, la beauté d’un homme. C’est quelque chose de moins apparent, de moins défini… une sorte d’affinité et, si j’osais… une sorte d’atmosphère sexuelle, âcre, terrible ou grisante, dont certaines femmes subissent, même malgré elles, la forte hantise… Eh bien, Joseph dégage autour de lui cette atmosphère-là… L’autre jour, je l’ai admiré qui soulevait une barrique de vin… Il jouait avec elle ainsi qu’un enfant avec sa balle de caoutchouc. Sa force exceptionnelle, son adresse souple, le levier formidable de ses reins, l’athlétique poussée de ses épaules, tout cela m’a rendue rêveuse. L’étrange et maladive curiosité, faite de peur autant que d’attirance, qu’excite en moi l’énigme de ces louches allures, de cette bouche close, de ce regard impressionnant, se double encore de cette puissance musculaire, de cette carrure de taureau. Sans pouvoir me l’expliquer davantage, je sens qu’il y a entre Joseph et moi une correspondance secrète… un lien physique et moral qui se resserre un peu plus tous les jours…

De la fenêtre de la lingerie où je travaille, je le suis des yeux, quelquefois, dans le jardin… Il est là, courbé sur son ouvrage, la face presque à fleur de terre, ou bien agenouillé contre le mur où s’alignent des espaliers… Et soudain il disparaît… il s’évanouit… Le temps de pencher la tête… et il n’y a plus personne… S’enfonce-t-il dans le sol ?… Passe-t-il à travers les murs ?… Il m’arrive, de temps en temps, d’aller au jardin,