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Mais est-il meilleur ?… Est-il pire ?… Je n’en sais rien…

Il y a une chose qui me tourmente. J’aurais dû, peut-être, en finir une bonne fois avec toutes ces sales places et sauter le pas, carrément, de la domesticité dans la galanterie, ainsi que tant d’autres que j’ai connues et qui — soit dit sans orgueil — étaient « moins avantageuses » que moi. Si je ne suis pas ce qu’on appelle jolie, je suis mieux ; sans fatuité, je puis dire que j’ai du montant, un chic que bien des femmes du monde et bien des cocottes m’ont souvent envié. Un peu grande, peut-être, mais souple, mince et bien faite… de très beaux cheveux blonds, de très beaux yeux bleu foncé, excitants et polissons, une bouche audacieuse… enfin une manière d’être originale et un tour d’esprit, très vif et langoureux, à la fois, qui plaît aux hommes. J’aurais pu réussir. Mais, outre que j’ai manqué par ma faute des occasions « épatantes » et qui ne se retrouveront probablement plus, j’ai eu peur… J’ai eu peur, car on ne sait pas où cela vous mène… J’ai frôlé tant de misères dans cet ordre-là… j’ai reçu tant de navrantes confidences !… Et ces tragiques calvaires du Dépôt à l’Hôpital auxquels on n’échappe pas toujours !… Et pour fond de tableau, l’enfer de Saint-Lazare !… Ça donne à réfléchir et à frissonner… Qui me dit aussi que j’aurais eu, comme femme, le même succès que comme femme de chambre ? Le