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s’étendre du quartier sur Paris, et de Paris sur la France, il s’est abonné à l’Argus de la Presse, tout comme Mme la comtesse. Il m’enverra ce qu’on écrira sur lui, de mieux tapé. C’est tout ce qu’il peut faire pour moi, car je dois comprendre qu’il n’a pas le temps de s’occuper de ma situation… Il verra, plus tard… « quand nous serons au pouvoir », m’écrit-il, négligemment… Tout ce qui m’arrive, c’est de ma faute… je n’ai jamais eu d’esprit de conduite… je n’ai jamais eu de suite dans les idées… j’ai gaspillé les meilleures places, sans aucun profit… Si je n’avais pas fait la mauvaise tête, moi aussi, peut-être serais-je au mieux avec le général Mercier, Coppée, Déroulède… et, peut-être — bien que je ne sois qu’une femme — verrais-je étinceler mon nom dans les colonnes du Gaulois, qui est si encourageant pour tous les genres de domesticité… Etc., etc…

J’ai presque pleuré, à la lecture de cette lettre, car j’ai senti que monsieur Jean est tout à fait détaché de moi, et qu’il ne me faut plus compter sur lui… sur lui et sur personne !… Il ne me dit pas un mot de celle qui m’a remplacée… Ah ! je la vois d’ici, je les vois d’ici, tous les deux, dans la chambre que je connais si bien, s’embrassant, se caressant… et courant, ensemble, comme nous faisions si gentiment, les bals publics et les théâtres… Je le vois, lui, en pardessus mastic, au retour des courses, ayant perdu son argent, et disant à l’autre, comme il me l’a dit, tant de fois,