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passagère douleur me furent une terreur véritable. Souvent, la nuit, je me réveillais avec des épouvantes folles, des sueurs glacées… Je me tâtais la poitrine, où par suggestion j’éprouvais des douleurs et des déchirements ; j’interrogeais mes crachats où je voyais des filaments rouges : à force de compter les pulsations de mes veines, je me donnais la fièvre… Il me semblait, en me regardant dans la glace, que mes yeux se creusaient, que mes pommettes rosissaient, de ce rose mortel qui colorait les joues de M. Georges… À la sortie d’un bal public, une nuit, je pris un rhume et je toussai pendant une semaine… Je crus que c’était fini de moi… Je me couvris le dos d’emplâtres, j’avalai toute sorte de médecines bizarres… j’adressai même un don pieux à saint Antoine de Padoue… Puis, comme en dépit de ma peur, ma santé restait forte, que j’avais la même endurance aux fatigues du métier et du plaisir… cela passa…


L’année dernière, le 6 octobre, de même que tous les ans à cette triste date, j’allai déposer des fleurs sur la tombe de M. Georges. C’était au cimetière Montmartre. Dans la grande allée, je vis, devant moi, à quelques pas devant moi, la pauvre grand’mère. Ah !… qu’elle était vieille… et qu’ils étaient vieux aussi, les deux vieux domestiques qui l’accompagnaient. Voûtée, courbée, chancelante, elle marchait pesamment, sou-