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bouche renversée jaillit un cri de détresse… puis un flot de sang chaud qui m’éclaboussa tout le visage. D’un bond, je fus hors du lit. En face, une glace me renvoya mon image, rouge et sanglante… Je m’affolai, et courant, éperdue, dans la chambre, je voulus appeler au secours… Mais l’instinct de la conservation, la crainte des responsabilités, de la révélation de mon crime… je ne sais quoi encore de lâche et de calculé… me fermèrent la bouche… me retinrent au bord de l’abîme où sombrait ma raison… Très nettement, très rapidement, je compris qu’il était impossible que, dans l’état de nudité, dans l’état de désordre, dans l’état d’amour où nous étions, Georges, moi, et la chambre… je compris qu’il était impossible que quelqu’un entrât en cet instant, dans la chambre…

Ô misère humaine !… Il y avait quelque chose de plus spontané que ma douleur, de plus puissant que mon épouvante, c’étaient mon ignoble prudence et mes bas calculs… Dans cette terreur, j’eus la présence d’esprit d’ouvrir la porte du salon… puis la porte de l’antichambre… et d’écouter… Aucun bruit… Tout dormait dans la maison… Alors, je revins près du lit… Je soulevai le corps de Georges, léger comme une plume dans mes bras… J’exhaussai sa tête de façon à la maintenir droite dans mes mains… Le sang continuait de couler par la bouche, en filaments poisseux… j’entendais que sa poitrine s’évacuait