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crise se calma, et, au bout de quelques minutes, il reprit d’une voix apaisée, tandis qu’un peu de salive moussait encore au coin de ses lèvres :

— Ça n’est rien… c’est fini… Comprenez-moi, mon enfant… Je suis un peu maniaque… À mon âge, cela est permis, n’est-ce pas ?… Ainsi, tenez, par exemple je ne trouve pas convenable qu’une femme cire ses bottines, à plus forte raison les miennes… Je respecte beaucoup les femmes, Marie, et ne peux souffrir cela… C’est moi qui les cirerai vos bottines, vos petites bottines, vos chères petites bottines… C’est moi qui les entretiendrai… Écoutez bien… Chaque soir, avant de vous coucher, vous porterez vos bottines dans ma chambre… vous les placerez près du lit, sur une petite table, et, tous les matins, en venant ouvrir mes fenêtres… vous les reprendrez.

Et, comme je manifestais un prodigieux étonnement, il ajouta :

— Voyons !… Ça n’est pas énorme, ce que je vous demande là… c’est une chose très naturelle, après tout… Et si vous êtes bien gentille…

Vivement, il tira de sa poche deux louis qu’il me remit.

— Si vous êtes bien gentille, bien obéissante, je vous donnerai souvent des petits cadeaux. La gouvernante vous paiera, tous les mois, vos gages… Mais, moi, Marie, entre nous, souvent, je vous donnerai des petits cadeaux. Et qu’est-ce que je vous demande ?… Voyons, ça