Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/198

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Ma fièvre de destruction était bien tombée, maintenant… Je vivais dans un affreux dégoût de moi-même, dans une indicible horreur de mon crime, de mon meurtre… Il ne me restait plus que l’espoir, la consolation ou l’excuse que j’eusse gagné le mal de mon ami, et de mourir avec lui, en même temps que lui… Là où l’horreur atteignait son paroxysme, là où je me sentais précipitée dans le vertige de la folie, c’était lorsque monsieur Georges, m’attirant à lui de ses bras moribonds, collait sa bouche agonisante sur la mienne, voulait encore de l’amour, appelait encore l’amour que je n’avais pas le courage, que je n’avais même plus le droit — sans commettre un crime nouveau, et un plus atroce meurtre — de lui refuser…

— Encore ta bouche !… Encore tes yeux !… Encore ta joie !

Il n’avait plus la force d’en supporter les caresses et les secousses. Souvent, il s’évanouit dans mes bras…

Et ce qui devait arriver, arriva…

Nous étions, alors, au mois d’octobre, exactement le 6 octobre. L’automne étant demeuré doux et chaud, cette année-là, les médecins avaient conseillé de prolonger le séjour du malade à la mer, en attendant qu’on pût le transporter dans le midi. Toute la journée du 6 octobre, monsieur Georges avait été plus calme. J’avais ouvert, toute grande, la grande baie de la cham-