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auprès de Georges… Je vais demander une sœur, pour vous suppléer…

Mais je refusais… Et elle me chérissait davantage de ce refus… et aussi de ce qu’ayant accompli déjà un miracle, je pouvais en accomplir un autre, encore… Est-ce effrayant ? J’étais son dernier espoir !…

Quant aux médecins, mandés de Paris, ils s’étonnèrent des progrès de la maladie, et qu’elle eût causé en si peu de temps de tels ravages… Pas une minute, ni eux, ni personne, ne soupçonnèrent l’épouvantable vérité… Leur intervention se borna à conseiller des potions calmantes.

Seul, monsieur Georges demeurait gai, heureux, d’une gaîté constante, d’un inaltérable bonheur. Non seulement il ne se plaignait jamais, mais son âme se répandait, toujours, en effusions de reconnaissance. Il ne parlait que pour exprimer sa joie… Le soir, dans sa chambre, quelquefois, après des crises terribles, il me disait :

— Je suis heureux… Pourquoi te désoler et pleurer ?… Ce sont tes larmes qui me gâtent un peu la joie… la joie ardente, dont je suis rempli… Ah ! je t’assure que, de mourir, ce n’est pas payer cher le surhumain bonheur que tu m’as donné… J’étais perdu… la mort était en moi… rien ne pouvait empêcher qu’elle fût en moi… Tu me l’as rendue rayonnante et bénie… Ne pleure donc pas, chère petite… Je t’adore… et je te remercie…