Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/195

Cette page a été validée par deux contributeurs.

que n’ont point les autres hommes, même les plus forts. C’est que je crois réellement que l’idée de la mort, que la présence de la mort aux lits de luxure, est une terrible, une mystérieuse excitation à la volupté… Durant les quinze jours qui suivirent cette mémorable nuit — nuit délicieuse et tragique — ce fut comme une sorte de furie qui s’empara de nous, qui mêla nos baisers, nos corps, nos âmes, dans une étreinte, dans une possession sans fin. Nous avions hâte de jouir, pour tout le passé perdu, nous voulions vivre, presque sans un repos, cet amour dont nous sentions le dénouement proche, dans la mort…

— Encore… encore… encore !…

Un revirement subit s’était opéré en moi… Non seulement, je n’éprouvais plus de remords, mais lorsque M. Georges faiblissait, je savais, par des caresses nouvelles et plus aiguës, ranimer pour un instant ses membres brisés, leur redonner un semblant de forces… Mon baiser avait la vertu atroce et la brûlure vivifiante d’un moxa.

— Toujours… toujours… toujours !…

Mon baiser avait quelque chose de sinistre et de follement criminel… Sachant que je tuais Georges, je m’acharnais à me tuer, moi aussi, dans le même bonheur et dans le même mal… Délibérément, je sacrifiais sa vie et la mienne… Avec une exaltation âpre et farouche qui décuplait l’intensité de nos spasmes, j’aspirais, je buvais la mort, toute la mort, à sa bouche… et je