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n’aurais point la force, une fois dans les bras de mon ami, une fois mes lèvres sur les siennes, de m’arracher à cette étreinte, et de repousser ce baiser… Mais voilà !… Lorsqu’un homme me tient, aussitôt la peau me brûle et la tête me tourne… me tourne… Je deviens ivre… je deviens folle… je deviens sauvage… Je n’ai plus d’autre volonté que celle de mon désir… Je ne vois plus que lui… je ne pense plus qu’à lui… et je me laisse mener par lui, docile et terrible… jusqu’au crime !…

Ah ! ce premier baiser de M. Georges !… Ses caresses maladroites et délicieuses… l’ingénuité passionnée de tous ses gestes… et l’émerveillement de ses yeux devant le mystère, enfin dévoilé, de la femme et de l’amour !… Dans ce premier baiser, je m’étais donnée, toute, avec cet emportement qui ne ménage rien, cette fièvre, cette volupté inventive, dure et brisante, qui dompte, assomme les mâles les plus forts et leur fait demander grâce… Mais, l’ivresse passée, lorsque je vis le pauvre et fragile enfant, haletant, presque pâmé dans mes bras, j’eus un remords affreux… du moins la sensation, et, pour ainsi dire, l’épouvante que je venais de commettre un meurtre…

— Monsieur Georges… monsieur Georges !… Je vous ai fait du mal… Ah ! pauvre petit !

Mais lui, avec quelle grâce féline, tendre et confiante, avec quelle reconnaissance éblouie, il se pelotonna contre moi, comme pour y chercher