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tenant… Mais, je ne t’en veux pas de me le refuser… tu as raison de me le refuser… Je comprends… je comprends… Tu es une petite âme timide et sans courage… un petit oiseau qui chante sur une branche… puis sur une autre… et s’en va, au moindre bruit… frroutt !

— C’est affreux ce que vous dites là, monsieur Georges.

Il continua encore, tandis que je me tordais les mains :

— Pourquoi est-ce affreux ?… Mais non, ce n’est pas affreux… c’est juste. Tu me crois malade… Tu crois qu’on est malade, quand on a de l’amour… Tu ne sais pas que l’amour, c’est de la vie… de la vie éternelle… Oui, oui, je comprends… puisque ton baiser qui est la vie pour moi… tu t’imagines que ce serait peut-être, pour toi, la mort… N’en parlons plus…

Je ne pus en entendre davantage. Était-ce la pitié ?… était-ce ce que contenaient de sanglants reproches, d’amers défis, ces paroles atroces et sacrilèges ?… était-ce simplement l’amour impulsif et barbare qui, tout à coup, me posséda ?… Je n’en sais rien… C’était peut-être cela, tout ensemble… Ce que je sais, c’est que je me laissai tomber, comme une masse, sur la chaise longue, et, soulevant dans mes mains la tête adorable de l’enfant, éperdument, je criai :

— Tiens ! méchant… regarde comme j’ai peur… regarde donc comme j’ai peur !…