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mal. Voyons, monsieur Georges… soyez bien gentil…

Mais, il répétait :

— Pourquoi, m’aimerais-tu ?… C’est vrai… tu as raison de ne pas m’aimer… Tu me crois malade… Tu crains d’empoisonner ta bouche aux poisons de la mienne… et de gagner mon mal — le mal dont je meurs, n’est-ce pas ? — dans un baiser de moi !… C’est juste…

La cruelle injustice de ces paroles me frappa en plein cœur.

— Ne dites pas cela, monsieur Georges… m’écriai-je, éperdue… C’est horrible et méchant, ce que vous dites-là… Et vous me faites trop de peine… trop de peine…

Je saisis ses mains… elles étaient moites et brûlantes. Je me penchai sur lui… son haleine avait l’ardeur rauque d’une forge :

— C’est horrible… horrible !

Il continua :

— Un baiser de toi… mais c’était cela ma résurrection… mon rappel complet à la vie… Ah ! tu as cru sérieusement à tes bains… à ton Porto… à ton gant de crin ?… Pauvre petite !… C’est en ton amour que je me suis baigné… c’est le vin de ton amour que j’ai bu… c’est la révulsion de ton amour qui m’a fait courir, sous la peau, un sang neuf… C’est parce que ton baiser, je l’ai tant espéré, tant voulu, tant attendu, que je me suis repris à vivre, à être fort… car je suis fort, main-