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S’étant soulevé un peu sur les coussins :

— D’abord, pourquoi m’appelles-tu « monsieur Georges » ?… Tu sais que cela me déplaît…

— Je ne peux pourtant pas vous appeler « monsieur Gaston » !

— Appelle-moi « Georges » tout court… méchante…

— Ça, je ne pourrais pas… je ne pourrais jamais !

Alors il avait soupiré.

— Est-ce curieux !… Tu es donc toujours une pauvre petite esclave ?

Puis il s’était tu… Et le reste de la journée s’était écoulé, moitié dans l’énervement, moitié dans le silence, qui était aussi un énervement, et plus pénible…

Après le dîner, le soir, l’orage enfin éclata. Le vent se mit à souffler avec violence, la mer à battre la digue avec un grand bruit sourd… M. Georges ne voulut pas se coucher… Il sentait qu’il lui serait impossible de dormir, et c’est si long, dans un lit, les nuits sans sommeil !… Lui, sur la chaise longue, moi, assise près d’une petite table sur laquelle brûlait, voilée d’un abat-jour, une lampe qui répandait autour de nous une clarté rose et très douce, nous ne disions rien… Quoique ses yeux fussent plus brillants que de coutume, M. Georges semblait plus calme… et le reflet rose de la lampe avivait son teint, dessinait, dans de la lumière, les traits de sa figure