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longue, près de la grande baie par où l’on découvrait un immense espace de mer… Des barques de pêche, au loin, fuyant l’orage toujours menaçant, rentraient au port de Trouville… D’un regard distrait, il suivait leurs manœuvres et leurs voilures grises…

Comme l’avait dit M. Georges, c’est vrai, je ne tenais pas en place… et je m’agitais, je m’agitais… afin d’inventer quelque chose qui occupât son esprit… Naturellement, je ne trouvais rien… et mon agitation ne calmait pas celle du malade…

— Pourquoi t’agiter ainsi ?… Pourquoi t’énerver ainsi ?… Reste auprès de moi…

Je lui avais demandé :

— Est-ce que vous n’aimeriez pas être sur ces petites barques, là-bas ?… Moi, si !…

— Ne parle donc pas pour parler… À quoi bon dire des choses inutiles… Reste auprès de moi.

À peine assise près de lui, et la vue de la mer lui devenant tout à coup insupportable, il m’avait demandé de baisser le store de la baie…

— Ce faux jour m’exaspère… cette mer est horrible… Je ne veux pas la voir… Tout est horrible, aujourd’hui. Je ne veux rien voir, je ne veux voir que toi…

Doucement, je l’avais grondé.

— Ah ! monsieur Georges, vous n’êtes pas sage… Ça n’est pas bien… Et si votre grand’mère venait, et qu’elle vous vît en cet état… vous la feriez encore pleurer !…