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j’avais fini par croire que je le méritais… Si, comme bien d’autres l’eussent fait à ma place, j’avais voulu abuser de sa générosité… Ah ! malheur !…

Et ce qui devait arriver arriva.

Cette journée-là, le temps avait été très chaud, très lourd, très orageux. Au-dessus de la mer plombée et toute plate, le ciel roulait des nuages étouffants, de gros nuages roux, où la tempête ne pouvait éclater. M. Georges n’était pas sorti, même sur la terrasse, et nous étions restés dans sa chambre. Plus nerveux que d’habitude, d’une nervosité due sans doute aux influences électriques de l’atmosphère, il avait même refusé que je lui lise des vers.

— Cela me fatiguerait… disait-il… Et, d’ailleurs, je sens que tu les lirais très mal, aujourd’hui.

Il était allé dans le salon, où il avait essayé de jouer un peu de piano. Le piano l’ayant agacé, tout de suite il était revenu dans la chambre où il avait cru se distraire, un instant, en crayonnant d’après moi, quelques silhouettes de femmes… Mais il n’avait pas tardé à abandonner papier et crayons, en maugréant avec un peu d’impatience.

— Je ne peux pas… je ne suis pas en train… Ma main tremble… Je ne sais ce que j’ai… Et toi aussi, tu as je ne sais quoi… Tu ne tiens pas en place…

Finalement, il s’était étendu sur sa chaise