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abondantes et terribles, qui le laissaient, au matin, haletant et brisé… Ses forces revenaient au point que nous pouvions faire de longues courses en voiture, et de petites promenades à pied, sans trop de fatigue… C’était, en quelque sorte, une résurrection… Comme le temps était très beau, l’air très chaud, mais tempéré par la brise de mer, les jours que nous ne sortions pas, nous en passions la plus grande partie, à l’abri des tentes, sur la terrasse de la villa, attendant l’heure du bain, « de la trempette dans la mer », ainsi que le disait, gaîment, M. Georges… Car il était gai, toujours gai, et jamais il ne parlait de son mal… jamais il ne parlait de la mort. Je crois bien que, durant ces jours-là, jamais il ne prononça ce mot terrible de mort… En revanche, il s’amusait beaucoup de mon bavardage, le provoquait, au besoin, et moi, confiante en ses yeux, rassurée par son cœur, entraînée par son indulgence et sa gentillesse, je lui disais tout ce qui me traversait l’esprit, farces, folies et chansons… Ma petite enfance, mes petits désirs, mes petits malheurs, et mes rêves, et mes révoltes, et mes diverses stations chez des maîtres cocasses, ou infâmes, je lui racontais tout sans trop masquer la vérité car, si jeune qu’il fût, si séparé du monde, si enfermé qu’il eût toujours été, par une prescience, par une divination merveilleuse qu’ont les malades, il comprenait tout, de la vie… Une vraie amitié, que facilita sûrement son carac-