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la grand’mère me mena près de lui, il était étendu sur une chaise longue et il tenait, dans sa longue main blanche, une rose sans parfum… Il me reçut, non comme une domestique, presque comme une amie qu’il attendait… Et moi, dès ce premier moment, je m’attachai à lui, de toutes les forces de mon âme.

L’installation à Houlgate se fit sans incidents, comme s’était fait le voyage. Tout était prêt, lorsque nous arrivâmes… Nous n’avions plus qu’à prendre possession de la villa, une villa spacieuse, élégante, pleine de lumière et de gaîté, qu’une large terrasse, avec ses fauteuils d’osier et ses tentes bigarrées, séparait de la plage. On descendait à la mer par un escalier de pierre, pratiqué dans la digue, et les vagues venaient chanter sur les premières marches, aux heures de la marée montante. Au rez-de-chaussée, la chambre de M. Georges s’ouvrait par de larges baies, sur un admirable paysage de mer… La mienne, — une chambre de maître, tendue de claire cretonne, — en face de celle de M. Georges, de l’autre côté d’un couloir, donnait sur un petit jardin où poussaient quelques maigres fusains et de plus maigres rosiers. Exprimer par des mots ma joie, ma fierté, mon émotion, tout ce que j’éprouvai d’orgueil pur et nouveau à être ainsi traitée, choyée, admise comme une dame, au bien-être, au luxe, au partage de cette chose si vainement convoitée,