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ne rester jamais seul, d’avoir, sans cesse, auprès de lui, un joli visage, un rire frais et jeune… quelque chose qui éloigne de son esprit l’idée de la mort, quelqu’un qui lui donne confiance en la vie… Voulez-vous ?…

— J’accepte, Madame, répondis-je, émue jusqu’aux entrailles… Et que Madame soit sûre que je soignerai bien M. Georges…

Il fut convenu que j’entrerais, le soir même, dans la place, et que nous partirions, le surlendemain, pour Houlgate où la dame en deuil avait loué une belle villa sur la plage.

La grand’mère n’avait pas menti… M. Georges était un enfant charmant, adorable. Son visage imberbe avait la grâce d’un beau visage de femme ; d’une femme aussi, ses gestes indolents, et ses mains longues, très blanches, très souples, où transparaissait le réticule des veines… Mais quels yeux ardents !… Quelles prunelles dévorées d’un feu sombre, dans des paupières cernées de bleu et qu’on eût dites brûlées par les flammes du regard !… Quel intense foyer de pensée, de passion, de sensibilité, d’intelligence, de vie intérieure !… Et comme déjà les fleurs rouges de la mort envahissaient ses pommettes !… Il semblait que ce ne fût pas de la maladie, que ce ne fût pas de la mort qu’il mourait, mais de l’excès de vie, de la fièvre de vie qui était en lui et qui rongeait ses organes, desséchait sa chair… Ah ! qu’il était joli et douloureux à contempler !… Quand