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me plaît beaucoup. J’ai besoin d’une personne de confiance et de dévouement… De dévouement !… Ah ! je sais que je demande là une chose bien difficile… car, enfin, vous ne me connaissez pas et vous n’avez aucune raison de m’être dévouée… Je vais vous expliquer dans quelles conditions je me trouve… Mais ne restez pas debout, mon enfant… venez vous asseoir près de moi…

Il suffit qu’on me parle doucement, il suffit qu’on ne me considère point comme un être en dehors des autres et en marge de la vie, comme quelque chose d’intermédiaire entre un chien et un perroquet, pour que je sois, tout de suite, émue,… et, tout de suite, je sens revivre en moi une âme d’enfant… Toutes mes rancunes, toutes mes haines, toutes mes révoltes, je les oublie comme par miracle, et je n’éprouve plus, envers les personnes qui me parlent humainement, que des sentiments d’abnégation et d’amour… Je sais aussi, par expérience, qu’il n’y a que les gens malheureux, pour mettre la souffrance des humbles de plain-pied avec la leur… Il y a toujours de l’insolence et de la distance dans la bonté des heureux !…

Quand je fus assise auprès de cette vénérable dame en deuil, je l’aimais déjà… je l’aimais véritablement.

Elle soupira :

— Ce n’est pas une place bien gaie que je vous offre, mon enfant…