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— Tant que la religion n’aura pas été restaurée en France comme autrefois… tant qu’on n’obligera pas tout le monde, à aller à la messe et à confesse… il n’y a rien de fait, nom de Dieu !…

Il a accroché dans sa sellerie, les portraits du pape et de Drumont ; dans sa chambre, celui de Déroulède ; dans la petite pièce aux graines, ceux de Guérin et du général Mercier… de rudes lapins… des patriotes… des Français, quoi !… Précieusement, il collectionne toutes les chansons antijuives, tous les portraits en couleur des généraux, toutes les caricatures de « bouts coupés ». Car Joseph est violemment antisémite… Il fait partie de toutes les associations religieuses, militaristes et patriotiques du département. Il est membre de la Jeunesse antisémite de Rouen, membre de la vieillesse antijuive de Louviers, membre encore d’une infinité de groupes et de sous-groupes, comme Le Gourdin national, le Tocsin normand, les Bayados du Vexin… etc… Quand il parle des juifs, ses yeux ont des lueurs sinistres, ses gestes, des férocités sanguinaires… Et il ne va jamais en ville sans une matraque :

— Tant qu’il restera un juif en France… il n’y a rien de fait…

Et il ajoute :

— Ah, si j’étais à Paris, bon Dieu !… J’en tuerais… j’en brûlerais… j’en étriperais de ces maudits youpins !… Il n’y a pas de danger, les traîtres, qu’ils soient venus s’établir au Mesnil-Roy… Ils