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libre, heureuse, et Madame ne s’occupait jamais de la conduite du personnel…


Ce soir, nous sommes restés plus longtemps que de coutume à la cuisine. J’ai aidé Marianne à faire ses comptes… Elle ne parvenait pas à s’en tirer… J’ai constaté que, ainsi que toutes les personnes de confiance, elle grappille de-ci, vole de-là, autant qu’elle peut… Elle a même des roueries qui m’étonnent… mais il faut les mettre au point… Il lui arrive de ne pas se retrouver dans ses chiffres, ce qui la gêne beaucoup avec Madame, qui s’y retrouve, elle, et tout de suite… Joseph s’humanise un peu, avec moi. Maintenant, il daigne me parler, de temps à autre… Ainsi, ce soir il n’est pas allé comme d’ordinaire chez le sacristain, son intime ami… Et, pendant que Marianne et moi, nous travaillions, il a lu la Libre Parole… C’est son journal… Il n’admet pas qu’on puisse en lire un autre… J’ai remarqué que, tout en lisant, plusieurs fois, il m’a observée avec des expressions nouvelles dans les yeux…

La lecture terminée, Joseph a bien voulu m’exposer ses opinions politiques… Il est las de la République qui le ruine et qui le déshonore… Il veut un sabre…

— Tant que nous n’aurons pas un sabre — et bien rouge — il n’y a rien de fait… dit-il.

Il est pour la religion… parce que… enfin… voilà… il est pour la religion…