Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/16

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Il me poussa du coude légèrement et, glissant sur moi un regard étrange dont je ne pus m’expliquer la double expression d’ironie aiguë et, ma foi, d’obscénité réjouie, il dit en ricanant :

— Avec ça !… Faites celle qui ne sait rien… Farceuse va… sacrée farceuse !

Puis il claqua de la langue, et le cheval reprit son allure rapide.

J’étais intriguée. Qu’est-ce que cela pouvait bien signifier ? Peut-être rien du tout… Je pensai que le bonhomme était un peu nigaud, qu’il ne savait point parler aux femmes et qu’il n’avait pas trouvé autre chose pour amener une conversation que, d’ailleurs, je jugeai à propos de ne pas continuer.

La propriété de M. Rabour était assez belle et grande. Une jolie maison, peinte en vert clair, entourée de vastes pelouses fleuries et d’un bois de pins qui embaumait la térébenthine. J’adore la campagne… mais, c’est drôle, elle me rend triste et elle m’endort. J’étais tout abrutie quand j’entrai dans le vestibule où m’attendait la gouvernante, celle-là même qui m’avait engagée au bureau de placement de Paris, Dieu sait après combien de questions indiscrètes sur mes habitudes intimes, mes goûts ; ce qui aurait dû me rendre méfiante… Mais on a beau en voir et en supporter de plus en plus fortes chaque fois, ça ne vous instruit pas… La gouvernante ne m’avait pas plu au bureau ; ici, instantanément, elle me dégoûta et je lui