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suis certaine… Et c’est d’autant plus extraordinaire qu’ils n’ont qu’un lit… Mais une femme de chambre, à la coule, et qui a de l’œil, sait parfaitement ce qui se passe chez ses maîtres… Elle n’a même pas besoin d’écouter aux portes… Le cabinet de toilette, la chambre à coucher, le linge, et tant d’autres choses, lui en racontent assez… Il est même inconcevable, quand on veut donner des leçons de morale aux autres et qu’on exige la continence de ses domestiques, qu’on ne dissimule pas mieux les traces de ses manies amoureuses… Il y a, au contraire, des gens qui éprouvent, par une sorte de défi, ou par une sorte d’inconscience, ou par une sorte de corruption étrange, le besoin de les étaler… Je ne me pose pas en bégueule, et j’aime à rire, comme tout le monde… Mais vrai !… j’ai vu des ménages… et des plus respectables… qui dépassaient tout de même la mesure du dégoût…

Autrefois, dans les commencements, cela me faisait un drôle d’effet de revoir mes maîtres… après… le lendemain… J’étais toute troublée… En servant le déjeuner, je ne pouvais m’empêcher de les regarder, de regarder leurs yeux, leurs bouches, leurs mains, avec une telle insistance que Monsieur ou Madame, souvent, me disait :

— Qu’avez-vous ?… Est-ce qu’on regarde ses maîtres de cette façon-là ? Faites donc attention à votre service…