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ravale plus bas qu’une bête… Et il ne faut rien dire ; il faut sourire et remercier, sous peine de passer pour une ingrate ou un mauvais cœur… Quelquefois, en coiffant mes maîtresses, j’ai eu l’envie folle de leur déchirer la nuque, de leur fouiller les seins avec mes ongles…

Heureusement qu’on n’a pas toujours de ces idées noires… On s’étourdit et on s’arrange pour rigoler de son mieux, entre soi.


Ce soir, après le dîner, me voyant toute triste, Marianne s’est attendrie, a voulu me consoler. Elle est allée chercher, au fond du buffet, dans un amas de vieux papiers et de torchons sales, une bouteille d’eau-de-vie…

— Il ne faut pas vous affliger comme ça, m’a-t-elle dit… il faut vous secouer un peu, ma pauvre petite… vous réconforter.

Et m’ayant versé à boire, durant une heure, les coudes sur la table, d’une voix traînante et gémissante, elle m’a raconté des histoires sinistres de maladies, des accouchements, la mort de sa mère, de son père, de sa sœur… Sa voix devenait, à chaque minute, plus pâteuse… ses yeux s’humectaient, et elle répétait, en léchant son verre :

— Il ne faut pas s’affliger comme ça… La mort de votre maman… ah ! c’est un grand malheur… Mais qu’est-ce que vous voulez ?… nous sommes toutes mortelles… Ah ! mon Dieu ! Ah ! pauvre petite !…