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un trou sombre du rocher où les mouettes venaient faire leur nid… où les matelots cachaient quelquefois les épaves trouvées en mer… là sur un lit de goémon fermenté, sans que je me sois refusée ni débattue… il me posséda… pour une orange !… Il s’appelait d’un drôle de nom : M. Cléophas Biscouille…

Et voilà une chose incompréhensible, dont je n’ai trouvé l’explication dans aucun roman. M. Biscouille était laid, brutal, repoussant… Et outre, les quatre ou cinq fois qu’il m’attira dans le trou noir du rocher, je puis dire qu’il ne me donna aucun plaisir ; au contraire. Alors, quand je repense à lui — et j’y pense souvent — comment se fait-il que ce ne soit jamais pour le détester et pour le maudire ? À ce souvenir, que j’évoque avec complaisance, j’éprouve comme une grande reconnaissance… comme une grande tendresse et aussi, comme un regret véritable de me dire que, plus jamais, je ne reverrai ce dégoûtant personnage, tel qu’il était, sur le lit de goémon…

À ce propos, qu’on me permette d’apporter ici, si humble que je sois, ma contribution personnelle à la biographie des grands hommes….


M. Paul Bourget était l’intime ami et le guide spirituel de la comtesse Fardin, chez qui, l’année dernière, je servais comme femme de chambre. J’entendais dire toujours que lui seul connais-