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marauder dans les jardins, à barboter dans les flaques, aux heures de la marée basse… Ou bien, sur la route de Plogoff, au fond d’un dévalement herbu, abrité du vent de mer et garni d’arbustes épais, je polissonnais avec les petits garçons, parmi les épines blanches… Quand je rentrais le soir, il m’arrivait de trouver ma mère étendue sur le carreau en travers du seuil, inerte, la bouche salie de vomissements, une bouteille brisée dans la main… Souvent, je dus enjamber son corps… Ses réveils étaient terribles… Une folie de destruction l’agitait… Sans écouter mes prières et mes cris, elle m’arrachait du lit, me poursuivait, me piétinait, me cognait aux meubles, criant :

— Faut que j’aie ta peau !… Faut que j’aie ta peau !…

Bien des fois, j’ai cru mourir…

Et puis elle se débaucha, pour gagner de quoi boire. La nuit, toutes les nuits, on entendit des coups sourds, frappés à la porte de notre maison… Un matelot entrait, emplissant la chambre d’une forte odeur de salure marine et de poisson… Il se couchait, restait une heure et repartait… Et un autre venait après, se couchait aussi, restait une heure encore et repartait… Il y eut des luttes, de grandes clameurs effrayantes dans le noir de ces abominables nuits, et, plusieurs fois, les gendarmes intervinrent…

Des années s’écoulèrent pareilles… On ne vou-