Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/13

Cette page a été validée par deux contributeurs.

ce qui va encore m’arriver ici… Rien de bon sans doute et, comme d’habitude, des embêtements… Les embêtements, c’est le plus clair de notre bénéfice. Pour une qui réussit, c’est-à-dire pour une qui épouse un brave garçon ou qui se colle avec un vieux, combien sont destinées aux malchances, emportées dans le grand tourbillon de la misère ?… Après tout, je n’avais pas le choix ; et cela vaut mieux que rien.


Ce n’est pas la première fois que je suis engagée en province. Il y a quatre ans, j’y ai fait une place… Oh ! pas longtemps… et dans des circonstances véritablement exceptionnelles… Je me souviens de cette aventure comme si elle était d’hier… Bien que les détails en soient un peu lestes et même horribles, je veux la conter… D’ailleurs, j’avertis charitablement les personnes qui me liront que mon intention, en écrivant ce journal, est de n’employer aucune réticence, pas plus vis-à-vis de moi-même que vis-à-vis des autres. J’entends y mettre au contraire toute la franchise qui est en moi et, quand il le faudra, toute la brutalité qui est dans la vie. Ce n’est pas de ma faute si les âmes, dont on arrache les voiles et qu’on montre à nu, exhalent une si forte odeur de pourriture.

Voici la chose :

J’avais été arrêtée, dans un bureau de placement, par une sorte de grosse gouvernante, pour