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cette étrange profession de foi me révéla que sa grande vanité, dans la vie, était de manger de tout… Je m’amusai à flatter sa manie…

— Et vous avez raison, monsieur le capitaine.

— Pour sûr… répondit-il, non sans orgueil… Et ce n’est pas seulement des plantes que je mange… c’est des bêtes aussi… des bêtes que personne n’a mangées… des bêtes qu’on ne connaît pas… Moi, je mange de tout…

Nous continuâmes notre promenade autour des planches fleuries, dans les allées étroites où se balançaient de jolies corolles, bleues, jaunes, rouges… Et, en regardant les fleurs, il me semblait que le capitaine avait au ventre de petits sursauts de joie… Sa langue passait sur ses lèvres gercées, avec un bruit menu et mouillé…

Il me dit encore :

— Et je vais vous avouer… Il n’y a pas d’insectes, pas d’oiseaux, pas de vers de terre que je n’aie mangés. J’ai mangé des putois et des couleuvres, des rats et des grillons, des chenilles… J’ai mangé de tout… On connaît ça dans le pays, allez !… Quand on trouve une bête, morte ou vivante, une bête que personne ne sait ce que c’est, on se dit : « Faut l’apporter au capitaine Mauger. »… On me l’apporte… et je la mange… L’hiver surtout, par les grands froids, il passe des oiseaux inconnus… qui viennent d’Amérique… de plus loin, peut-être… On me les apporte… et je les mange… Je parie qu’il