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Le jardin est fort joli, un vieux jardin divisé en planches carrées, où sont cultivées les fleurs d’autrefois, de très vieilles fleurs qu’on ne rencontre plus que dans de très vieilles campagnes et chez de très vieux curés…

Quand je suis arrivée, Rose, confortablement assise à l’ombre d’un acacia, devant une table rustique sur laquelle était posée sa corbeille à ouvrage, reprisait des bas, et le capitaine accroupi sur une pelouse, le chef coiffé d’un ancien bonnet de police, bouchait les fuites d’un tuyau d’arrosage qui s’était crevé la veille…

On m’accueillit avec empressement… et Rose ordonna au petit domestique, qui sarclait une planche de reines-marguerites, d’aller chercher la bouteille de noyau et des verres.

Les premières politesses échangées :

— Eh bien, me demanda le capitaine… il n’est donc pas encore claqué, votre Lanlaire ?… Ah ! vous pouvez vous vanter de servir chez une fameuse crapule… Je vous plains bien, allez, ma chère demoiselle.

Il m’expliqua que jadis Monsieur et lui vivaient en bons voisins, en inséparables amis… Une discussion à propos de Rose les avait brouillés à mort… Monsieur reprochait au capitaine de ne pas tenir son rang avec sa servante, de l’admettre à sa table…

Interrompant son récit, le capitaine força en quelque sorte mon témoignage.