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de grotesques grimaces, Monsieur me demanda :

— Aimez-vous les poires, Célestine ?

— Oui, Monsieur…

Je ne désarmais pas… je répondais sur un ton d’indifférence hautaine.

Dans la crainte d’être surpris par sa femme, il hésita quelques secondes… Et soudain, comme un enfant maraudeur, il détacha une poire de l’arbre et me la donna… ah ! si piteusement !… Ses genoux fléchissaient… sa main tremblait…

— Tenez, Célestine… cachez cela dans votre tablier… On ne vous en donne jamais à la cuisine, n’est-ce pas ?…

— Non, Monsieur…

— Eh bien… je vous en donnerai encore… quelquefois… parce que… parce que… je veux que vous soyez heureuse…

La sincérité et l’ardeur de son désir, sa gaucherie, ses gestes maladroits, ses paroles effarées, et aussi sa force de mâle, tout cela m’avait attendrie… J’adoucis un peu mon visage, voilai d’une sorte de sourire la dureté de mon regard, et moitié ironique, moitié câline, je lui dis :

— Oh ! Monsieur !… Si Madame vous voyait ?…

Il se troubla encore, mais comme nous étions séparés de la maison par un épais rideau de châtaigners, il se remit vite, et crâneur maintenant que je devenais moins sévère, il clama, avec des gestes dégagés :

— Eh bien quoi… Madame ?… Eh bien quoi ?…