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— À la bonne heure… Ça n’est pas malheureux enfin… ça n’est pas malheureux.

Il s’était redressé tout à fait, m’enveloppait d’un regard très tendre, répétait : « Ça n’est pas malheureux » se donnant ainsi le temps de trouver à me dire quelque chose d’ingénieux…

Il retira de ses dents les brins de raphia, les noua au haut du tuteur, et, les jambes écartées, les deux paumes plaquées sur ses hanches, les paupières bridées, les yeux franchement obscènes, il s’écria :

— Je parie, Célestine, que vous avez dû en faire des farces à Paris ?… Hein, en avez-vous fait, de ces farces !…

Je ne m’attendais pas à celle-là… Et j’eus une grande envie de rire… Mais je baissai les yeux pudiquement, l’air fâché, et tâchant à rougir, comme il convenait en la circonstance :

— Ah ! Monsieur !… fis-je sur un ton de reproche.

— Eh bien quoi ?… insista-t-il… Une belle fille comme vous… avec des yeux pareils !… Ah ! oui, vous avez dû faire de ces farces !… Et tant mieux… Moi, je suis pour qu’on s’amuse, sapristi !… Moi, je suis pour l’amour, nom d’un chien !…

Monsieur s’animait étrangement. Et sur sa personne robuste, fortement musclée, je reconnaissais les signes les plus évidents de l’exaltation amoureuse. Il s’embrasait… le désir flambait dans ses prunelles… Je crus devoir verser sur