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— Point tant qu’çà… Les jambes faiblissent, monsieur Lanlaire… les bras mollissent… Et les reins donc… Ah, les sacrés reins !… Je n’ai quasiment plus de force… Et puis, la femme qu’est malade, qui ne quitte plus son lit… et qui coûte gros de médicaments !… On n’est guère heureux… on n’est guère heureux… Si, au moins, on vieillissait pas ?… C’est ça, voyez-vous, monsieur Lanlaire… c’est ça qu’est le pire… de l’affaire…

Monsieur soupira, fit un geste vague, puis résumant philosophiquement la question :

— Hé oui !… Mais qu’est-ce que vous voulez, père Pantois ?… C’est la vie… On ne peut pas être et avoir été… C’est comme ça…

— Ben sûr !… Faut se faire une raison…

— Voilà !…

— Au bout le bout, quoi !… C’est-il pas vrai, dites, monsieur Lanlaire ?

— Ah ! dame !

Et, après une pause, il ajouta d’une voix devenue mélancolique :

— Tout le monde a ses tristesses, allez, mon père Pantois…

— Ben oui…

Il y eut un silence. Marianne hachait des fines herbes… La nuit tombait sur le jardin… Les deux grands tournesols, qu’on apercevait dans la perspective de la porte ouverte, se décoloraient, se noyaient d’ombre… Et le père Pantois mangeait