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qui est souvent désastreux… Il faut le dire, sa bonté fut la cause de petites vilenies, dans le genre de celle-ci…


Mardi dernier, un très vieux bonhomme, le père Pantois, apportait des églantiers que Monsieur avait commandés, en cachette de Madame, naturellement… C’était à la tombée du jour… J’étais descendue chercher de l’eau chaude pour un savonnage en retard… Madame, sortie en ville, n’était pas encore rentrée… Et je bavardais à la cuisine, avec Marianne, quand Monsieur, cordial, joyeux, expansif et bruyant, amena le père Pantois… Il lui fait aussitôt servir du pain, du fromage et du cidre… Et le voilà qui cause avec lui.

Le bonhomme me faisait pitié, tant il était exténué, maigre, salement vêtu… Son pantalon, une loque ; sa casquette, un bouchon d’ordures… Et sa chemise ouverte laissait voir un coin de sa poitrine nue, gercée, gaufrée, culottée comme du vieux cuir… Il mangea avec avidité.

— Eh bien, père Pantois… s’écria Monsieur… en se frottant les mains… ça va mieux, hein ?…

Le vieillard, la bouche pleine, remercia :

— Vous êtes ben honnête, monsieur Lanlaire… Parce que, voyez-vous, depuis ce matin, quatre heures, que je suis parti de chez nous… j’avais rien dans le corps… rien…

— Eh bien, mangez, mon père Pantois… régalez-vous, nom d’un chien !…