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j’aurais bien dû rester à Rouen, au lieu de courir la chance d’un paysage envahi par tant de drapiers et de cotonniers. Rouen est une ville admirable, et qu’on ne se lasse jamais d’admirer, bien qu’elle ait été déjà fort endommagée par la truelle moderne. Avec ses cathédrales, ses palais, ses maisons ciselées comme une serrure d’art, c’est vraiment la ville éternelle. Il faut même se hâter de l’admirer avant que tout cela ait disparu — ce qui ne saurait tarder, — sous le vandalisme des réparations. Les architectes ont envahi, hideuses limaces, le flanc des monuments et dévorent cette floraison superbe de pierre. Mais le bateau filait ; déjà il avait franchi le port. Les coteaux apparaissaient couronnés de forêts, flanqués de villas riantes ; et très graves, les drapiers regardaient la Seine, avec ce regard conquérant que dut avoir Stanley, lorsque, pour la première fois, il découvrit les grands lacs vierges du continent africain.

Le voyage s’effectua sans incidents. Pourtant, en passant au Val-de-la-Haye, un cotonnier révolutionna toutes mes notions historiques. Sur le bord du fleuve, une colonne s’élève, que surmonte un aigle aux ailes éployées. Cette colonne insolite, qui tout à coup se dresse sur la berge, dans une prairie, éveilla la curiosité d’un passager. Il demanda ce que cela signifiait. Un cotonnier dit :