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si complètement inharmoniques au milieu d’aventure et de hasard où ils s’ahurissent, on éprouve la sensation de vivre une vie de cauchemar, effarante, et pareille à un conte d’Edgar Poë réalisé. Il n’y a pas de meilleure objection à la théorie des causes finales que le déconcertant spectacle d’un départ, ou d’une arrivée de touristes, en quelque endroit que ce soit. Pourquoi y a-t-il toujours, parmi les multitudes en fête et si moroses que dégorgent les bateaux sur les quais hostiles, et qui engorgent les trains, pour des destinations circulaires et perrichonnesques, pourquoi y a-t-il un vélocipédiste, un infirmier et un prêtre ? Pourquoi cette rencontre inévitable et fortuite, dans les foules provinciales, aussi inévitable et aussi fortuite, que celle de l’éternel Chinois perdu dans les foules parisiennes ? Ce Chinois, ce vélocipédiste, cet infirmier et ce prêtre, est-ce donc une seule personne ? Ou bien est-ce l’âme même des multitudes, l’insaisissable et toujours présent homme des foules, que suivait, sans pouvoir l’atteindre jamais, le grand conteur américain ? Je ne puis maintenant voir un vélocipédiste, un infirmier, un prêtre, dans une foule, sans ressentir, aussitôt, la terreur si particulière et purement métaphysique que m’ont toujours causée les imaginations supra-sensibles de l’irréel et pourtant si véridique auteur des Histoires