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anciennes que ni le temps, ni le progrès, ni le nivellement politique n’effacent, et par l’aspect sévère, âpre, indiciblement triste de son sol. Ce sont des landes, pelées, pierreuses, mangées par la cuscute, où paissent des vaches squelettaires, et quelques chevaux-fantômes ; des landes coupées de hauts talus qui barrent le ciel comme des murs, et derrière ces talus, dans un espace qu’on devine, des pins isolés dont on n’aperçoit, au bout de hampes torses, que les têtes arrondies, remuées par la brise et bleuissant dans l’air morne, hanté de la fièvre. Puis des cultures maigres, de pauvres emblaves apparaissent auxquelles succèdent encore des landes, et parfois des bois de chênes, épais, trapus, dont les cimes moutonnent durement sous le pâle soleil. De distance en distance, le terrain s’abaisse, et par une dévalée rapidement franchie, l’horizon s’élargit, mais pas bien loin, un horizon lourd, opaque, écrasé de verdures sombres, entre lesquelles brillent ainsi que des plaques d’or quelques champs de blé mûrissant.

En ce temps de silence et d’immobilité, les légendes, filles des blancs étangs nocturnes et des vastes landes, un parfum de miel, règnent sur l’imagination abrutie de l’homme, aussi puissantes, aussi dominatrices qu’autrefois. Depuis Yves Nicolazic, qui vit sainte Anne