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— C’était le bon temps ! conclut-il… Moi aussi, j’ai dans le sang la haine des gendarmes… Ainsi, à la chasse, quand je rencontre un gendarme, je le vise… Et ça me fait plaisir de le tenir au bout de mon fusil, il me semble que je chouanne… Un jour, par mégarde, le coup partit, et je salai le gendarme au derrière d’une vingtaine de grains de plomb… Eh bien ! le croiriez-vous ?… On me condamna à deux mille francs de dommages et intérêts… Pour un gendarme, c’est raide, hein ?… Quelle sale époque !

Et brusquement, éclatant de rire, il me tapa sur le ventre.

— Non… non !… C’est trop drôle… Ça me rappelle une autre bonne blague… Écoutez ça… Il y a juste vingt-deux ans… En ce temps-là, j’avais six chiens courants, des bêtes admirables et plus féroces que des loups. Un jour que je revenais de la chasse, n’ayant rien levé, j’aperçus sur la route, un petit bonhomme qui trottinait. Je le reconnus, c’était un clerc d’huissier, un sale bougre de républicain, qui jamais n’avait fourré les pieds dans une église… Je me dis : Attends, attends… Nous allons nous amuser un peu… Je découplai mes chiens et les mis sur la piste du clerc d’huissier… Hardi ! mes petits ! Hardi ! mes toutous !… Et menez-moi rondement cette sale