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châtaignier, fraîchement coupée. Il ne me salua pas. Ce jour-là, je le rencontrai partout sur ma route. Il me suivait ainsi qu’une mauvaise pensée. Sur un talus, brusquement, sa petite figure sournoise et cruelle se levait ; elle apparaissait, entre les feuillées des arbres, dans le bois, au bord des allées. Je ne pouvais faire vingt pas, qu’elle ne se dressât devant moi, ironique, irritante, épouvantable. Le soir, le petit gardeur de vaches chanta longtemps, autour de la maison, il chanta à plein gosier, et sa voix se mêla aux cris des orfraies. M’étant mis à la fenêtre, il me sembla — effet de l’hallucination — voir ses yeux luire dans l’ombre, à la cime d’un hêtre.

Huit jours après, je me promenais dans les champs, longeant une haie large dont la douve est plantée de trognes de charmes et de jeunes châtaigniers. Et tout à coup, dans l’épaisseur de la haie, je vis le petit gardeur de vaches. Le bruit que faisaient deux grosses vaches, en broutant les pousses fraîches, l’avait empêché de m’entendre venir. Je l’examinai. Et véritablement, j’eus peur, un frisson me secoua de la tête aux pieds. Accroupi dans les feuilles, parmi les ronces, il s’amusait à maltraiter le pauvre chat que j’avais détaché de la grille et que je croyais mort. Il lui enfonçait des épines dans les yeux, avivait les plaies de sa cuisse en