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et j’aperçus, cloué à l’un des piquants de fer, par la patte, un pauvre petit chat, au pelage fauve, rayé de noir. Il devait être là depuis longtemps, car sur les feuilles emmêlées, je découvris des coulées de sang séché et noirâtre. Sa patte, traversée par la tige de fer, était cassée en deux endroits, et la peau arrachée laissait une partie de sa cuisse à vif. Je détachai le chat que je reconnus pour être celui d’une ferme voisine. Il faisait pitié à voir et à entendre, et je fus ému, je vous assure, comme devant une souffrance humaine. Je pensai d’abord à le tuer, mais je réfléchis qu’il ne m’appartenait pas, et j’allai le porter à son maître.

— Ah ben !… ah ben ! s’écria celui-ci… C’est le petit gardeur de vaches qui aura fait le coup, pour s’amuser… Y ne se plaît qu’à agacer les bêtes, c’ gamin-là !… Y ne sait quoi inventer !

— Votre chat est perdu, dis-je… Il est inutile de le faire souffrir davantage… Je vous engage à le tuer… Ce sera mieux ainsi.

— Ben oui, ben oui ! je l’ tuerons à nuit.

Et là-dessus, je m’en allai. Comme je rentrais chez moi, je vis le petit gardeur de vaches, appuyé contre un arbre, qui me regardait, en dessous, l’air tout drôle. Il sifflotait un refrain paysan et il affectait de tailler une gaule de