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perturbables des hiérarchies sociales, s’étonneront de voir un magistrat prendre ouvertement parti en faveur de l’être infime qu’était le petit gardeur de vaches, contre un homme riche, jouissant d’une haute position dans le monde, tel que je suis, et ils concluront de cette anomalie à ma triple culpabilité. Je leur dirai seulement que je suis l’auteur d’un livre intitulé : la Réforme judiciaire, dans lequel, au nom de la morale, au nom de la philosophie, au nom de l’humanité, je m’élève contre la puissance monstrueuse, laissée, sans contrôle, sans justice, aux mains indifférentes des juges. On pardonne une infamie aux gens de ma sorte ; on ferme les yeux sur un crime… Mais ça, voyez-vous, ça ?… la guillotine !

Mon récit sera court.

La propriété que j’habite est entourée de larges fossés et fermée d’une grille. Pour empêcher les escalades nocturnes, les piliers de la grille sont pourvus jusqu’en bas de piques de fer qui s’enchevêtrent, se recourbent, dardant leurs pointes en tous sens, sous un épais feuillage de vignes vierges, de lierre et d’aristoloches… Un matin, franchissant la grille, j’entendis un miaulement douloureux et prolongé,