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rieures, par leur immuabilité, aux lois — à la Loi, si vous aimez mieux, capricieuse et vaine, qui change avec le temps, avec les gouvernements, avec les majorités parlementaires, avec le diable sait quoi ! Les magistrats sont bornés, ignorants, routiniers, essentiellement romantiques et féroces, par indifférence, quand ils ne le sont pas par tempérament. Ils sont magistrats, enfin. D’ailleurs, je ne puis admettre qu’un homme ait osé se dire, à un moment quelconque de sa vie : « Je serai juge ! » Cela m’épouvante. Ou cet homme a conscience de la responsabilité effrayante qu’il assume, et, dans ce cas, c’est un monstre ; ou il n’en a pas conscience, et dans ce cas, c’est un imbécile. Imbéciles et monstres, voilà par qui nous sommes jugés, depuis qu’il existe des tribunaux ! Et voyez si je me trompe.

J’ai tué un petit gardeur de vaches dans les circonstances claires, évidentes, forcées, que je vais vous raconter. Car méconnaissant le droit des juges, et dédaignant la protection rapetissante des avocats, encore faut-il que je vous construise des faits qui m’amènent devant votre justice. J’ai tué ce petit gardeur de vaches, parce que cela était juste, parce que cela était nécessaire. Or, le juge, à qui était confiée l’instruction de mon procès, voulait absolument que j’eusse tué le petit gardeur de vaches pour