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L’indice m’en venait, non par l’approche de monstrueux cataclysmes et de transcendantales horreurs, mais par le harcèlement continu de mille petits faits, de mille microscopiques détails d’une extraordinaire et écœurante vulgarité. Et l’abîme qui nous séparait n’était même plus un abîme : c’était un monde, sans limites, infini, non pas un monde d’espace, mais un monde de pensées, de sensations, un monde purement intellectuel, entre les pôles duquel il n’est point de possible rapprochement. Dès lors, la vie nous fut un supplice. Quoique l’un près de l’autre, nous comprenions que nous étions à jamais séparés, et cette présence continuelle et visible de nos corps rendait encore plus douloureux et plus sensible l’éloignement de nos âmes… Nous nous aimions pourtant. Hélas ! qu’est-ce que l’amour ? Et que peuvent ses ailes courtaudes et chétives devant un tel infini ? En voyant pleurer Claire, je me suis demandé : « La souffrance est peut-être la seule chose qui puisse rapprocher l’homme de la femme ? »

Mais de quoi pleure-t-elle ?