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— Et toi, mon bien-aimé… Pourquoi ta poitrine n’est-elle pas transparente ?… Je connaîtrais peut-être la raison des battements de ton cœur, et je les mettrais à l’unisson des battements du mien.

Pourquoi ?… Oh ! oui, pourquoi ?

Chose à stupéfier l’entendement, nous nous séparons parce que ma femme n’a pas un front de cristal, ce que n’aura jamais aucune femme, et parce que ma poitrine, à moi, est faite de chairs opaques, impénétrables au regard, comme sont toutes les poitrines humaines… Quelle triste folie que la vie !

Si, encore, notre mariage avait été une de ces unions accidentelles et bienséantes, comme il s’en rencontre tant, qui rivent l’un à l’autre deux êtres s’ignorant, sans sympathies entre eux, sans affinités, sans aimantation de la chair et de l’esprit, je ne me plaindrais pas. Mais non !… Nous nous sommes connus enfants ; ensemble nous avons joué, elle et moi. Je la revois encore, au milieu d’une grande pelouse, non loin d’un bassin où s’ébattaient des cygnes, les uns blancs, les autres noirs ; je la revois, avec sa robe courte, ses jambes nues, ses cheveux blonds qui lui faisaient comme un épais manteau d’or. Elle poussait un cerceau devant elle, toute petite ; ou bien, d’un coup léger de sa raquette, elle me renvoyait un volant de