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— Vous permettez ?… Je suis à vous dans deux minutes.

— Et l’article sur l’avenir de la Russie ? interrogea le secrétaire de la rédaction en se retirant.

Georges Marrieul réfléchit un moment…

— L’avenir de la Russie !… Heu ! heu !… Est-ce bien parisien ?… Ajournez encore.

Rigard entendit la porte s’ouvrir et se refermer. Il était seul avec Georges Marrieul !

Après avoir déchiré quelques lettres, rangé quelques papiers qui encombraient son bureau, le directeur du Mouvement se recueillit. Durant ce court silence, le pauvre Rigard sentit son cœur battre plus vite, les veines de ses tempes se gonfler, les paumes de ses mains s’humecter d’une moiteur froide.

— Monsieur, commença Marrieul, j’ai lu vos articles. Ne vous en étonnez pas, je lis tout, par devoir. Je cherche les talents nouveaux, les notes nouvelles, les ténors, les étoiles… Je cherche et je ne trouve pas. Nous n’avons plus de chroniqueurs, de grands chroniqueurs. Pourquoi ? Est-ce le roman qui nous les prend, le théâtre, la liberté de la presse, la politique ?… Ainsi, moi, directeur du Mouvement, un journal qui mène l’opinion publique, comme vous savez, je n’ai pas de chroniqueurs, je n’en ai pas !… On ne le croirait point, et pourtant, rien