Page:Mirbeau - La Vache tachetée.djvu/31

Cette page a été validée par deux contributeurs.

du bout de son ombrelle, sur le plancher, des bonshommes imaginaires ; une grosse dame, empanachée de plumes rouges, tout en noir, très maquillée, se tapotait les mains avec un rouleau de papier — un manuscrit — d’un air supérieur ; dans un coin, penché sur une table, un petit être pâle, au teint plombé, aux pommettes saillantes, aux omoplates remontées et pointues, feuilletait la collection du Mouvement, en comptant, çà et là, des lignes. Toutes les deux minutes, un vieux monsieur, toujours le même, traversait l’antichambre, son chapeau sur la tête, les mains dans les poches, des journaux sous le bras ; il dévisageait l’actrice des Bouffes, marchait chaque fois sur sa robe, ce qui lui permettait de dire : « Pardon, Madame », avec un sourire engageant, donnait des ordres inutiles et bizarres aux garçons de bureau, afin de bien prouver à tous ces gens qu’il était homme d’importance dans la maison. Mais Rigard ne s’attarda pas longtemps à ces menues observations. Il était inquiet, nerveux, impatient. Que lui voulait Georges Marrieul, le célèbre directeur du Mouvement ? Pour quel motif inexplicable et grandiose lui avait-il envoyé, le matin même, une dépêche pressante, à lui, Rigard, que Marrieul ne connaissait pas, à lui, Rigard qui, jusqu’alors, n’avait publié que des articles rares et gratuits dans des feuilles