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une prière, sans une supplication, sans une menace, du moment que j’eusse exprimé la volonté qu’elle partît. J’entends qu’elle disparût de ma vie sentimentale et passionnelle. Elle en serait partie comme elle y était entrée, tout d’un coup.

Oui, mais cela ne terminait rien. Il me fallait quelque chose de plus définitif qu’un adieu, quelque chose d’absolu. Non seulement je ne voulais plus de son amour, mais je ne voulais plus d’elle, de sa présence quelque part, de sa rencontre quotidienne dans les rues du village ou dans les sentes des champs ; de son ombre même, glissant, le soir, sur les vitres éclairées de sa fenêtre. Être exposé à la revoir, à la revoir toujours, sur le pas de sa porte, au marché, le jeudi, à la messe, le dimanche, ou bien chez moi, rapportant chaque samedi son panier de linge, ou encore penchée sur sa table à repasser dans la demi-teinte de la pièce où elle travaillait. La revoir, enfin, dans les mille circonstances inévitables qui font, sans cesse, se croiser, se frôler, se parler, se haïr, deux êtres habitant la même bourgade. Non ! c’était impossible ! Car je voulais éteindre en moi, à jamais, le souvenir de cette étrange liaison. Et la présence continuelle, le côte à côte forcé, l’intimité villageoise entretiennent et attisent tout ce qui subsiste de feu vivant dans les