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des obstacles à franchir, des volontés à violenter. Qu’est-ce donc, je vous prie, qu’un conquérant qui ne trouve devant soi que des campagnes déjà dévastées, des villes en ruines, des peuples en fuite, des armées mortes ? Non !… non !… Ah ! Dieu, non ! La joie de la conquête, ce sont précisément les ruines qu’on fait soi-même ; c’est tout ce qu’on tue, tout ce qu’on dévaste, tout ce qu’on détruit soi-même ! Alors, à quoi bon ?

Je regardai Marie. Elle me parut laide, vulgaire. Je ne retrouvais plus d’éclat aux blancheurs de sa peau, aux ardeurs rousses de sa chevelure. Elle était raide et fixe, son buste grossier, ses hanches sans souplesse. Et son regard avait quelque chose d’animal que je ne reconnaissais plus.

La quitter ? C’était facile, parbleu ! C’était trop facile. Je n’avais qu’à lui signifier son congé, à lui dire :

— Marie, je ne veux plus de toi. Va-t’en !

Rien à redouter, ni une plainte, ni un reproche, ni une scène de désespoir et de larmes, ni un effort à se raccrocher à moi. Je n’avais à craindre aucun des ennuis, aucune des saletés dont s’accompagnent ordinairement les ruptures d’amour.

— Va-t’en ! va-t’en ! va-t’en !

Et elle serait partie silencieusement, sans