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yeux fixes, le corps immobile. Me voyait-elle ? Voyait-elle le paysage désert, à qui les petites bergeronnettes seules donnaient une menue palpitation de vie ? Ah ! je n’en sais rien. Et je songeai à notre aventure.

Tout d’abord, la résistance sauvage de Marie, sa passion monstrueuse pour le petit bossu, avaient surexcité en moi de furieux désirs d’elle. Puis, lorsqu’elle se fut donnée, sa soumission, son consentement d’esclave à mes cruautés, l’acceptation silencieuse des humiliations que je lui imposais, cette sorte d’ivresse muette et terrible qu’elle trouvait dans l’abaissement, dans l’anéantissement de sa personnalité, cette volupté, pour ainsi dire sadique, qui s’exaltait sous mes coups, sous mes piétinements, sous mes souillures qui prenaient, de jour en jour, un caractère plus féroce, tout cela après avoir, durant quelques mois, amusé mes sens et réjoui les changeants caprices de ma débauche, m’écœurait profondément, me fatiguait comme la monotonie d’un spectacle, toujours le même. Et puis, l’homme le plus dominateur est ainsi fait qu’il se lasse, à la longue, de dominer le néant ! De même que l’autorité d’un tyran, le plaisir d’un débauché veut, pour son renouvellement, pour l’accroissement de ses sensations et de ses énergies, des résistances, des luttes farouches,